Route du Rhum 2018 – Destination Chevalier de Saint-Georges

Ce jeudi 29 novembre 2018, le lycée Chevalier de Saint-Georges accueillait les skippers Fabrice PAYEN, Rodolphe SEPHO et Victor JEAN-NOËL. C’était l’occasion pour les lycéens de la filière Nautique (CAP[1] et baccalauréat professionnel[2]) de présenter leurs travaux sous la forme d’ateliers : tableau de nœuds, quiz, maquette de bateaux, présentation du blog « Les Chevaliers font cap sur la Route du Rhum », présentation des Routes du Rhum 1978, 2014 et 2018, discussions informelles et découverte des ressources du CDI. C’était également l’occasion pour les classes invitées (2nde 4, 1ère ES, 1ère L et 1ère STI2D) et leurs professeurs, de découvrir le monde fascinant des passionnés de la course au large en compagnie de Victor JEAN-NOËL, actif militant du développement de la voile en Guadeloupe, participant de la Route du Rhum en 1998, au  palmarès égal à son enthousiasme.

Rencontre avec Fabrice PAYEN, 49 ans, skipper originaire de Saint-Malo (1ère Route du Rhum), personne en situation de handicap

La vie de Fabrice a basculé en Inde, un jour d’été 2012, alors qu’il roulait en moto avec sa compagne sur une route encombrée. Tandis que le couple achève un long périple en Asie, un véhicule percute de plein fouet la moto et envoie Fabrice en enfer. Après un mois d’hospitalisation en Inde, Fabrice est rapatrié en France, où durant 4 ans, il enchaîne les opérations chirurgicales. Face à l’incapacité de plier sa jambe droite, il décide d’en demander lui-même l’amputation afin de retrouver de la mobilité avec une prothèse, et renouer avec la liberté. Capitaine de marine marchande et skipper de métier, il possède une très grande expérience de la navigation. Il a déjà barré de mythiques bateaux comme les « Pen Duick » III et VI d’Éric Tabarly vers les Antilles. Fabrice Payen possède également sept transats à son compteur. Le marin de 49 ans, appareillé d’une prothèse dernier cri, a décidé de se lancer un défi, celui de la « Team Vent Debout », debout comme lui, face aux vents et aux difficultés de la vie. Pour réaliser son objectif, Fabrice crée l’association « Océan Mer » pour piloter le projet sportif. L’objectif pour lui, en sus du défi sportif et de sa passion pour la mer, est de promouvoir le handicap et la réussite des personnes en situation de handicap : « Avec un bateau vieux de 30 ans, je ne vise pas de podium, mais des petites victoires à travers ce projet, à toutes les étapes. » […]

Pour la Route du Rhum 2018, Fabrice a pris le départ, le 4 novembre en classe Multi Rhum, avec un catamaran multicoque baptisé « Vent Debout ». Le 8 novembre il démâte et doit dériver plusieurs jours vers le Portugal sur un trimaran non dérivant. Sa déception est immense. Il était alors 2ème au classement. (Extrait du Dossier de presse de Fabrice PAYEN, « Face au handicap – Cabinet Coppet Avocats », 2018)

 

ÉLÈVE – Est-ce que vous naviguez depuis longtemps ?

  • J’étais skipper professionnel dans la marine marchande depuis des années et puis il y a eu l’accident de moto en Inde. J’ai alors perdu mon statut de capitaine suite à la visite médicale obligatoire (tous les deux ans) qui m’a déclaré inapte. Je n’ai alors plus pu exercer mon métier.

ÉLÈVE – Pourquoi et comment avez-vous décidé de faire la Route du Rhum ?

  • Malouin[3] d’origine, j’ai toujours vu cette course mythique partir de chez moi. Il était normal que je veuille la faire un jour. Cette année, j’ai participé à la Route du Rhum en sachant que les caméras allaient être sur moi en tant qu’homme bionique (rire) avec ma prothèse électronique. Cette prothèse est équipée de capteurs gyroscopiques, d’un accéléromètre et autres techniques qui permettent d’actionner un vérin hydraulique rendant possible la plupart des mouvements de ma jambe dans différentes conditions. Je voulais attirer l’attention sur ce que sont capables de faire les personnes en situation de handicap dans le monde du travail. J’ai alors monté mon entreprise pour être prêt. Mais au-delà de la Route du Rhum, ce que j’aime dans la voile c’est que c’est le seul sport où filles, garçons, handicapés ou non concourent tous ensemble.

ÉLÈVE – Que prévoyez-vous maintenant ?

  • J’espère maintenant, dès l’année prochaine en fait, pouvoir me représenter comme capitaine de la marine marchande. Si je peux faire une compétition sportive de haut niveau en solitaire comme la Route du Rhum, je peux commander un navire. En fait, si j’arrive à faire avancer la législation maritime dans le domaine de l’accès au monde du travail des personnes en situation de handicap, je serai content.

À l’issue de ces échanges collectifs, Fabrice PAYEN a pris le temps de répondre à un groupe d’élèves de 1ère S qui, dans le cadre de leur Travaux personnels encadrés[4], a choisi de rédiger son TPE sur le thème des liens existants entre le handisport et les progrès de la médecine. Pendant ce temps, les autres lycéens exploraient les différents ateliers de l’exposition interactive.

Rencontre avec Rodolphe SEPHO, 32 ans, originaire du Lamentin en Guadeloupe, 2ème participation à la Route du Rhum (2014 et 2018)

ÉLÈVE – Vous avez toujours voulu faire la Route du Rhum ?

  • Non, ce n’était pas un rêve au départ. La course au large me mettait quand même des étoiles dans les yeux et de voir arriver les gros bateaux à Pointe-à-Pitre me plaisait mais ce n’est pas à la Route du Rhum que je pensais en premier. Parmi les belles transats, je pensais au Vendée Globe, le tour du monde en solitaire sans assistance. Mais la Route du Rhum, tout de même, c’est une course au large qui arrive en Guadeloupe.

ÉLÈVE – Être skipper, c’est votre métier ?

  • Je ne suis pas skipper, je suis navigateur. Skipper est un métier. On peut être skipper de métier et ne pas faire de compétition. Celui qui pilote le bateau pour Marie-Galante est un skipper, c’est son métier. Moi je suis Éducateur technique et éducateur spécialisé.

ÉLÈVE – Pendant cette Route du Rhum avez-vous envisagé d’abandonner ?

  • Envisagé d’abandonner ? Pas possible (rires). 2018 est une des éditions les plus difficiles. J’ai connu cinq dépressions. J’ai mis trop d’engagement dans ma vie pour abandonner cette course. J’ai fait le choix d’intégrer le Pôle Vendée Course au Large aux Sables d’Olonne. Pour me préparer, je passais trois semaines parfois quatre semaines en France, un mois sans voir ma fille. Puis deux semaines en Guadeloupe. Et à nouveau en France. C’est dur comme préparation. Abandonner n’était pas une option. Je l’aurais fait dans deux cas : si je passais à la mer, et là on sait ce que cela veut dire ou si mon bateau s’écrasait. Sinon, ce n’était pas envisageable.

ÉLÈVE – Comment vous sentiez-vous au réveil ?

  • Toute ma préparation n’a pas été d’apprendre à dormir mais d’apprendre à me réveiller et à être immédiatement actif. Je dormais par plages de 20 minutes, je me réveillais, je faisais le check-list et je repartais pour 20 minutes… enfin si tout allait bien.

ÉLÈVE – Et que mangiez-vous ?

  • Que des trucs pas bons. Mais vraiment pas bons. Des aliments lyophilisés, des poudres où tout a le même goût et la même couleur, mais par contre, des aliments aux apports très riches pour permettre d’avoir suffisamment d’énergie pour tenir plus longtemps.

ÉLÈVE – Est-ce que vous avez dessalé ?

  • Sur le monocoque en Class 40 on se couche mais on ne dessale pas. Oui je me suis couchée plusieurs fois. Et une fois avec le mât dessous.

ÉLÈVE – Vous vous êtes préparé avec un coach ?

  • Dans la vie, je suis un indiscipliné au possible. Cette année on m’a imposé un coach mental. C’était très difficile pour moi et finalement j’ai rencontré deux préparateurs « mental » en Guadeloupe, l’un qui venait du volley, l’autre -une femme- de la gymnastique. Et en fait, c’était vraiment intéressant, ça m’a vraiment servi. Si un jour vous devez faire une activité de haut niveau, il faut absolument que vous vous prépariez avec un coach mental.

ÉLÈVE – Comment vous soignez-vous si vous êtes blessé à bord ?

  • Quand on fait de la voile au large en compétition ou pas, on est en relation avec le centre médical de Toulouse. C’est une structure internationale. Ou que tu sois en mer et quelle que soit ta nationalité, on est toujours en relation avec eux. En fonction de ce qu’on leur dit, ils évaluent la gravité de notre blessure et nous indique comment nous soigner.

ÉLÈVE – Que faites-vous si une voile se déchire ?

  • On a huit voiles embarquées. C’est une obligation. Après c’est une question de stratégie. On fait des choix de voile après avoir étudié les précédentes éditions de la course.

ÉLÈVE – Quels étaient vos objectifs pour cette Route du Rhum ?

  • Ma 1ère Route en 2014 était un projet d’entreprise. J’étais salarié pour faire cette Route. 2018  était un projet personnel. Le but était d’être capable de monter le projet de A à Z. De recruter des personnes pour y arriver. Mais le but 1er c’était de me faire plaisir. C’était aussi une question de valeurs à partager. Je voulais à la fois renvoyer une certaine image à la jeunesse guadeloupéenne et une certaine image de la jeunesse guadeloupéenne. Je voulais montrer que l’on est capable de monter et de conduire un projet à son terme. Je suis le plus jeune skipper Guadeloupéen. J’ai 32 ans et c’est ma 2ème Route du Rhum et celle-ci je l’ai faite en étant propriétaire de mon bateau. C’est important.

ÉLÈVE – Avez-vous toujours été soutenu ?

  • Ô bien sûr, il y a toujours des gens qui disaient que ce serait difficile mais devant mon enthousiasme, ma volonté de mener à bien mon projet, de me donner les moyens, petit à petit les gens m’ont soutenu. Bien sûr, ma maman avait très peur de me savoir au milieu de l’océan (rires). Mais si moi j’ai réussi ce projet, pourquoi pas vous ? Essayez de faire, de croire vraiment et de mettre l’énergie pour que cela fonctionne.

ÉLÈVE – Quelle est l’ambiance entre les concurrents ?

  • C’est un grand respect entre tous les concurrents car en mer nous sommes solidaires les uns des autres.

ÉLÈVE – Vous avez d’autres projets ?

  • À un moment si tu veux être bon, il faut naviguer parmi les bons. Au-delà de la Route du Rhum, mon projet c’est le Vendée Globe.

Malgré les sonneries de fin de cours, ni Rodolphe SEPHO, pourtant appelé vers d’autres engagements, ni les lycéens ne souhaitaient interrompre cet intense moment de partage. Partage de performances, partage d’enthousiasme, partage de valeurs.

REMERCIEMENTS

  • Un très grand merci à ces trois navigateurs Fabrice PAYEN, Rodolphe SEPHO et Victor JEAN-NOËL pour leur disponibilité.
  • Woulo pour les élèves de la filière Nautique et leurs professeurs et, tout particulièrement MM. GENTY et ROUSSEAU qui ont activement participé à l’organisation et la réussite de cette manifestation.
  • Merci à notre collègue d’Arts appliqués, Mme BAYSSAT, pour la réalisation de l’affiche, une nouvelle fois créée dans l’urgence avec le souci du « travail bien fait » qu’on lui connait et reconnait.
  • Merci à Mmes GACHET et MERIFIELD, professeures Documentalistes, pour l’accompagnement, l’organisation et le suivi du projet.
  • Un remerciement particulier à Francis LE GOFF, directeur de course OC-Sport, pour la mise à disposition des banderoles, drapeaux, roll-up, affiches, catalogues et guides.

PROCHAIN RENDEZ-VOUS

  • Salon des jeunes professionnels de l’automobile et du bateau – Date : Avril 2019 – Lieu : LPO Chevalier de Saint-Georges – Organisateurs : Équipes enseignantes et lycéens des filières de Maintenance des véhicules, voitures particulières et nautisme.
[1]CAP REEP = Réparation, entretien des embarcations de plaisance (en 2 ans) – [2]Bac pro MN = Maintenance nautique (en 3 ans) – [3]Habitant de Saint-Malo, ville de départ de la Route du Rhum depuis 1978 – [4]Épreuve anticipée du baccalauréat consistant en la réalisation d’une production sur un thème choisi. Voir l’article : TPE 2018-209 – Les thèmes, les axes de recherche et pistes de travail (lien vers l’article sur le site du lycée rubrique CDI)